Championnats d’Europe à Graz, Autriche, 1er jour

23 Jan 2020
7 minutes, 27 secondes

Dur démarrage … Depuis sa 3ème place à la Finale du Grand-Prix, juste derrière Yuzuru Hanyu, tout semblait promis à Kevin Aymoz. Il s’est envolé dans son programme comme prévu, avec toute l’ampleur et l’agilité incroyable qu’on lui connaît. Il a tourné de toutes ses forces. Mais rien n’a atterri comme prévu : ni le quadruple boucle piqué, qu’on pensait pourtant réussi, chuté l’instant d’après. Ni le triple Lutz de la combinaison devenu simple. Ni le triple Axel, ultime chance de rédemption, qui s’est dérobé sous les pas du champion.

« Je ne sais pas. Le stress peut-être, trop dedans ici et pas assez là ? Le travail du patineur est de continuer le combat malgré les erreurs … Ces championnats sont une compétition comme une autre, et je ne m’étais pas mis la pression … »

Comme si soudain tout s’était effondré. Sauf son génie des pas, son incroyable vitesse de rotation, sa musicalité. Ils restent des atouts uniques pour l’avenir.

Le vainqueur du jour était attendu depuis longtemps : Michal Brezina prend la tête de la compétition devant Dmitri Aliev et Artur Danielian, les deux Russes.

Un patinage d’une grande fluidité, des sauts puissants et tenus, avec un quad Salchow – double boucle piqué d’entrée et un triple Axel magistral : Brezina a réalisé l’un des seuls programmes vraiment propres de l’après-midi. « C’est exactement ce que Raf (Rafael Arutunian, qui l’entraîne à Irvine) cherche à instaurer pendant l’entraînement. Au-delà de la technique et des sauts, souviens-toi qu’il s’agit de patinage. Il faut reprendre de la vitesse entre les sauts, faire quelque chose de beau, de glissé. Ce que je fais n’est que patiner ce que me dit Raf ! »

Avec 89,77 points, Brezina devance Aliev de 1,32 points. Le Russe atterrit quad Lutz – triple boucle piqué puis quad boucle piqué, même si le premier quad et le triple Axel sont considérés comme incomplets. Le nouveau Champion de Russie a fait honneur à son titre. « Oui, ce titre est très bien, mais ces Championnats sont une nouvelle compétition, et ils requièrent un nouveau combat – contre moi-même », glisse-t-il, impassible.

Danielian, 5,13 points derrière le Tchèque, réalise un beau programme, quad Salchow et triple Axel précédé d’un superbe changement de carre sur un pied. « Cette entrée de mon triple Axel n’était au départ qu’un exercice d’entraînement. Je l’ai réussi, et nous avons ajouté des mouvements de bras pour le rendre plus beau et gagner davantage de points ! » explique-t-il.

Samarin, l’un des grands favoris de la compétition, sombre corps (quad Lutz trop incomplet pour poursivre sa combinaison, quad flip chuté) et âme (où est le conquérant de jadis ?).

A noter aussi l’extraordinaire programme de Daniel Grassl, le jeune Italien, qui réussit quad boucle – triple boucle piqué en entrée et chute sur le quad Lutz final. « Il faut mettre deux gros quads pour espérer rivaliser avec les meilleurs, explique Benoît Richaud, son chorégraphe. Grassl patine sur l’assemblage étonnant du « Lacrimosa » (joué au piano) et du « Dies Irae » du Requiem de Mozart. Un bijou d’ombre et de lumière (patiné en blanc et noir). « Je recherche l’élégance », dit-il modestement.

Adam Siao Him Fa, l’autre Français, réussit son quad – double boucle piqué, mais renonce à son Axel et manque son triple Lutz. Jusqu’à ce que Kevin Aymoz patine, Adam n’était même pas qualifié pour le libre. Il l’est de toute justesse. Qu’il en profite demain ! L’équipe de France en aura bien besoin.

Le libre, demain, promet une grosse bagarre, quoi qu’en dise Brezina : « Je sais que j’ai eu du mal à résister dans le programme libre, dans le passé. J’essaie de l’oublier. Quand vous êtes prêt à performer, faites votre job ! Patinez comme vous le faites à l’entraînement : si ça marche, tant mieux. Sinon … Nous sommes tous des humains ! »

Programme court Couples

Vers un podium russe … On le pressentait, ils l’espéraient : les Russes sont bien partis ! L’ordre n’est pas forcément celui qu’on imaginait : Aleksandra Boikova et Dmitrii Kozlovskii, qui patinaient les derniers, ont imposé une supériorité sans égale : ils battent leur record personnel de 2,2 points. Avec 82,34 points, ils écrasent la concurrence : Daria Pavliuchenko et Denis Khodykin sont seconds 8,58 points derrière, et les favoris, Evgenia Tarasova et Vladimir Morozov, sont troisièmes avec 9,16 points de retard.

Tarasova et Morozov ont ouvert le bal avec un Bolero impressionnant de puissance. Triple twist d’une amplitude qui n’appartient qu’à eux, triple boucle piqué impeccable, triple boucle lancé enlevé, tout allait bien jusqu’à leur porté. Il trébuche, elle manque de tomber. Quand un couple offre une telle puissance, un déséquilibre devient soudain une faute majeure, une brèche dans la perfection. Ils perdent un niveau, 2,39 de GOE, et sans doute l’espoir d’un nouveau titre européen.

Pavliuchenko et Khodykin offrent un programme superbe, rapide, à l’unisson parfait, dramatique à souhait sur une musique ciselée. Très concentrés, de styles très différents mais finalement complémentaires, ils réussissent en prime à entraîner le public avec eux.

Boikova et Kozlovskii, sur le « My Way » de Franck Sinatra, dominent de la tête et des épaules. Un triple twist où elle tourne avec le bras au-dessus de la tête, un triple flip lancé planant, des courbes parfaitement maîtrisées pour que leur différence de taille et de puissance se rejoignent, et les voilà en tête. Avec eux tout paraît si facile … « On est heureux de nos points mais … C’est en se concentrant sur notre patinage qu’on gagne des points ! » disent-ils en chœur …

Nicole Della Monica et Matteo Guarise, les Italiens, sont 4èmes avec 70.48 points. Ils ont encore progressé en unisson et en puissance. Minerva Fabienne Hase et Nolan Seegert, les Allemands, sont juste 5 centièmes de points derrière. Impressionnants aussi, les Autrichiens, qui réalisent le meilleur programme court de leur carrière devant leur public. Ils battent aussi leur record personnel de 1,82 points. Le libre promet !

Les deux couples français, Cléo Hamon et Denys Strekalin, ainsi que Coline Keriven et Noël-Antoine Pierre, réussissent quant à eux un beau pari : ils sont qualifiés pour le libre, les derniers nommés se classent même dans les dix premiers.

Le retour au pays …

La patinoire de Graz, lieu d’accueil par excellence pour ces Championnats d’Europe, a été réquisitionnée par l’équipe de hockey locale pour la semaine : les organisateurs de ces Championnats n’ont pas eu la tâche facile. Ils ont complètement aménagé un hall de centre d’exposition, situé à côté d’une base nautique au Sud de la ville. La patinoire et les lieux voisins sont bien chauffés, les gradins démontables peuvent accueillir 5000 spectateurs. En revenant en Autriche, le patinage revient à l’une de ses sources : le patinage autrichien a fourni ses premiers champions, jusqu’à ce que la 2ème Guerre Mondiale ne fasse basculer la suprématie du patinage en Amérique du Nord. Des enfants sont venus patiner des morceaux de programmes des champions de l’Après-Guerre. Sissy Schwartz and Kurt Oppelt, Emmerich Dantzer, Beatrix Schuba, Claudia Kristoffics-Binder ont tous gagné des championnats d’Europe. Aujourd’hui des enfants peuvent patiner leurs programmes. Mais en regardant les images d’époque défiler en parallèle, on a retrouvé en même temps une classe qui n’appartenait qu’à eux …

Hola Javier!

Pour la première fois en 8 ans, Javier Fernandez ne remportera pas l’or européen. Deux journalistes espagnols ont néanmoins fait le déplacement. Le patinage a explosé en Espagne, depuis le triomphe de son héros. « Révolution sur glace », le show de Fernandez, obtient un beau succès à travers toute l’Espagne. A Graz, Olivia Smart et Adrian Diaz, Sara Hurtado et Kirill Khaliavin, ont les yeux rivés sur le podium de la Danse. L’Espagne a même deux couples en compétition ! « On est là, glissent les journalistes espagnols : mais il faut toujours se battre pour avoir de la place dans le journal ! »

Maîtres et élèves

« Qui a créé ce programme ? », demande Tamara Moskvina, l’immense entraîneuse russe, à Knut Schubert, son collègue d’Allemagne, après avoir vu ses élèves, les Autrichiens Miriam Ziegler et Severin Kiefer, s’entraîner. « C’est votre ancien élève, John Zimmerman ! » répond Schubert. « Wow ! » siffle-t-elle. « J’ai toujours mis en avant l’importance des entrées et des sorties des éléments, explique Tamara. Regardez où ils en sont maintenant ! » De fait, les couples prennent tous la même direction : celle de nouveaux « trucs », des pas, des attitudes, des entrées et des sorties particulières, qui densifient leur patinage. « Je n’ai jamais caché mes trucs d’entraîneur », ajoute-t-elle, un air malicieux dans les yeux. « C’est vrai ! confirme Schubert. Et cela nous a toujours été tellement utile, à nous tous les autres entraîneurs ». Schubert connaît bien Tamara Moskvina : il a participé à ses camps d’entraînement, lorsque lui-même patinait pour la RDA.